MARION GUICHARD
CO-FONDATRICE, CHEMLYS
Parce qu’elle ficelle chacune de ses aspirations méthodiquement, Marion Guichard aborde chaque étape avec le souci de l’alignement. Lorsque l’adolescente de treize ans rêve d’un grand destrier et essuie le refus de ses parents, elle monte ainsi une stratégie financière où figurent des calculs exhaustifs couvrant les frais complémentaires autant que la place nécessaire : « J’ai été tellement convaincante que mon père m’a répondu “avec tous ces efforts, ce serait dommage que tu ne puisses pas monter dessus”, et j’ai compris que j’avais réussi ! » Un côté déterminé, une nature presque impatiente, qui l’a fait aller chaque fois de l’avant. La lycéenne réajustera d’ailleurs la trajectoire qu’elle imaginait petite : aux études vétérinaires, elle préfère les grands espaces moins scolaires. Plus sensible aux sentiers, aux chemins de traverse qu’aux autoroutes, elle profitera de trois semaines en Mongolie pour éprouver les étendues sauvages, découvrir son goût de la photographie, et entériner son fond de cartésienne : « Comme je suis du genre à confirmer mes hypothèses par l’expérience, j’y suis retournée deux ans plus tard, juste pour m’assurer que ce n’était en fait pas l’endroit où je voulais vivre. » Son baccalauréat en poche, Marion reste en recherche d’applications concrètes ; elle s’engage sur la voie de l’enquête depuis Lausanne, où elle suit pendant cinq ans un cursus en sciences criminelles. Entre deux analyses balistiques et deux leçons sur différents explosifs, lampe à lumière bleue dans une main et microscope dans l’autre, elle résout des énigmes tout en dénouant celle de son avenir : « Un jour, une branche de Sanofi est venue nous présenter sa lutte contre la contrefaçon de médicaments. J’ai trouvé cela tellement passionnant que j’ai souhaité réaliser mon mémoire chez eux ; j’y ai décroché mon stage de fin d’études. » Grâce à une science du rebond acquise à travers des années de job d’été à Walibi, Marion poursuit avec un poste de technico-commerciale à Marcy l’Étoile. Elle passe de l’autre côté de la paillasse et sillonne les laboratoires de la région jusqu’à prendre du galon. La jeune femme, qui évolue en tant que responsable, est chargée de constituer son équipe, mais lorsque l’entreprise commercialisant des analyseurs de gaz se retrouve enlisée par les décisions de ses actionnaires, Marion choisit d’investir son énergie vers des choix qui lui semblent plus clairs.
Dans son esprit et celui d’un de ses plus proches collègues, les idées fusent et le concept de Chemlys se diffuse : « Nous avons voulu créer notre structure pour poursuivre ce que nous faisions déjà, mais en façonnant nos propres postes, en phase avec des valeurs ambitieuses, et les relations tissées avec nos clients ! » En janvier 2017, la société sort de terre et se consacre à la vente d’analyseurs dédiés à la mesure de tout ce qui se passe dans l’air. L’expertise de Chemlys repose sur sa connaissance pointue et exigeante des technologies commercialisées. Premier analyseur installé, premier appel d’offre pour mettre le pied à l’étrier, première embauche dès la seconde année, Marion se souvient d’un lancement catalysé, allant bien au-delà des attentes des associés : « Le bilan de l’année un a dépassé les prévisions de celui de l’année trois ! On avait du mal à y croire ; on se répétait combien c’était exceptionnel tout en étant certain que ce serait bien différent au prochain. Mais non, cela continuait de progresser ! » Rejoints par un autre associé, les « trois petits Français » persuadent un grand compte et bousculent les Américains, en devenant le partenaire d’un intégrateur : « Cela a évidemment été une bascule pour Chemlys, un vrai gage de légitimité ! » Assurant le rôle de Commerciale export, Marion conquiert avec son équipe un marché. Un marché où les clients peuvent faire confiance à l’accompagnement en amont des installations, et qui garantit des solutions d’analyse clé en main. L’entreprise fournit aussi un contrat de maintenance sur-mesure et des formations pour maîtriser toutes les applications. Née en pépinière, puis intégrée au Programme Pépites, l’entreprise Chemlys sait rapidement s’entourer. À travers différents accompagnements, l’entrepreneure discrète sollicite ses pairs pour ancrer ses repères, se nourrir des parcours et éclairer le sien : « Même si le programme encourage à la “performance”, l’esprit qui y règne est tout, sauf une compétition entre start-up. Ce sont des moments d’entraide et de respiration vraiment bienvenus dans mon quotidien. »
Anticiper la myriade de requêtes des douanes, s’assurer que les autorisations de sorties du territoire soient parfaitement cochées, décortiquer les codes et les obligations relatives aux échanges internationaux – la réussite de Chemlys permet à Marion de s’enthousiasmer pour des enjeux nouveaux. Après le marché français, la dirigeante souhaite intensifier la présence aux pays du Benelux et de la Suisse, puis s’étendre au reste de l’Europe. Aux côtés de ses collaborateurs, la société lyonnaise installée dans la Vallée de la Chimie envisage également de se déployer en externe, une stratégie que Marion envisage à la fois comme une continuité et comme une autre manière de démarrer : « Constituer un groupe en intégrant des entreprises existantes, prendre des parts, s’impliquer… l’idée de ne pas repartir de zéro mais d’adopter ce positionnement, qui est pour moi inédit, me galvanise ! » Si le bouillonnement intellectuel que lui procure son poste de co-directrice générale requiert toute sa rigueur scientifique, Marion veille aussi à être diplomate. Y compris lorsque son compagnon utilise trop de casseroles pour ne faire cuire que quelques tomates : « Certains diront que c’est un détail, mais je ne peux pas m’empêcher de me dire que ce n’est pas optimisé ! J’apprends toutefois à lâcher prise – il faut bien commencer quelque part ! » Pour s’évader des formules, la lectrice peut également compter sur les ouvrages de la littérature nordique et leur style sans détour, « délicieusement barré ». Celle qui a grandi entre l’Isère et la Savoie, animée par l’objectif de fabriquer des cabanes dans les bois, n’a pas renoncé à l’idée d’une ferme où elle pourra s’occuper de ses deux chevaux et de toute une ménagerie. En compagnie de lamas qui détonnent ou en perçant les secrets du méthane, Marion a prouvé que certaines histoires et leur croissance étaient avant tout une question de persévérance.
Entreprendre ?
C’est apprendre sans cesse, et c’est en cela que je me sens beaucoup plus entrepreneure que dirigeante ! J’ai trouvé dans l’entrepreneuriat le moyen de me plonger dans le futur. Cette possibilité d’engranger de nouvelles compétences, c’est vraiment pour moi la partie la plus captivante.